Revue des Livres. In : Galerie (Revue culturelle et pédagogique du Centre Culturel Differdange) 31(2013) n°2, pages 285-287

06. Février 2014

Selon le président Ed. Kirsch qui le préface, le livre de la Fédération Générale des Instituteurs Luxembourgeois commémorant le 100e anniversaire de la loi scolaire de 1912 honore la mémoire des hommes et femmes qui s’engagèrent au début du 20e siècle pour l’émancipation de l’instituteur luxembourgeois et pour une école où les sciences prendraient enfin le pas sur les croyances. Cette loi historique, on l’appelait encore la loi Braun, d’après Pierre Braun, directeur général de l’Intérieur dans le gouvernement de Paul Eyschen, de 1910 à 1915. Elle introduisit la gratuité de l’enseignement primaire et étendit sa durée à sept ans. Elle marqua surtout les esprits en affranchissant l’instituteur de la servitude dans laquelle il était tenu par l’Eglise catholique. Par cet acte délibéré, elle jeta de l’huile sur le feu de la guerre culturelle que se livraient alors le bloc de la gauche et la droite cléricale.

La tourmente, dans laquelle ce combat politique plongeait alors l’école luxembourgeoise, fait l’objet d’une conférence, rédigée par Régis Moes. Il revient sur les lois scolaires antérieures et notamment sur la loi Kirpach de 1881, laquelle propageait déjà l’idée de séparation des enseignements profane et religieux. Mais en 1898, les députés catholiques réussirent à renforcer de nouveau l’influence de l’Eglise sur l’école primaire et dès lors les enseignants étaient tiraillés par deux idéologies opposées, ce qui entraîna une scission de la FGIL, fondée en 1900, dès 1909, suite à la création du Katholischer Lehrer- und Lehrerinnenverband. Régis Moes analyse les rapports de la commission spéciale, instituée pour réorganiser l’Ecole normale, les conclusions d’une étude que le ministre avait confiée à ce propos à trois instituteurs de la FGIL, et les recherches effectuées par les députés eux-mêmes, après le dépôt de la loi. Les débats très nourris faisaient apparaître que les uns s’inspiraient plutôt de l’expérience belge, où les écoles privées catholiques étaient subventionnées largement, et les autres en France, où Jules Ferry avait mis sur pied une école publique soucieuse de la liberté de conscience de l’enfant.

S’il est vrai que la question scolaire était au centre de la lutte entre la droite et la gauche, l’auteur a raison de rappeler qu’il y avait aussi des points de consensus, au-delà des clivages. Nul ne contestait qu’il était grand-temps d’adapter l’école luxembourgeoise aux besoins et au défis du nouveau siècle, à l’industrialisation et au développement démographique, enfin à la compétition européenne. On se mit d’accord sur un certain nombre d’innovations pédagogiques, comme par exemple l’extension de l’obligation scolaire, le combat de l’absentéisme ou encore l’inscription de la langue luxembourgeoise dans le plan d’études. On reconnaissait aussi l’urgence de réformer la formation des maîtres. Le plus grand point d’achoppement restant fut l’enseignement des vertus chrétiennes, dans les écoles, par les ministres du culte. Or ces derniers n’y mettaient plus les pieds jusqu’en 1921, l’évêque ayant déclaré que sa conscience lui interdisait formellement de prêter son concours à l’exécution de cette loi qu’il jugea préjudiciable aux intérêts de l’Eglise et de la religion. Certes, un compromis fut trouvé le 15 juillet 1921, mais l’histoire de la loi scolaire montre qu’il est plus difficile de terminer un combat idéologique que de s’arranger au sujet de différends pédagogiques. A partir de la 26e page, le livre reproduit des textes qui ont déjà été publiés par la FGIL en 1987, dans une brochure intitulée « La loi Braun de 1912 – La libération de l’instituteur ». D’après Jacques Maas, la loi scolaire de 1912 fut un enjeu politique majeur et déterminant pour l’avenir du pays. Il raconte les racines sociologiques des antagonistes menant le combat, épluche leurs motifs et arguments et retrace les campagnes qu’ils menaient pour remporter la partie. La manipulation de l’opinion publique par la tentative des opposants d’impliquer la couronne directement dans la lutte, empêcha un débat serein.

Ed. Kirsch peint la situation de l’instituteur luxembourgeois avant 1912, à partir de la fin de l’Ancien Régime. En laissant défiler le 19e siècle, il souligne la lenteur extrême de la progression de la législation, de l’instruction publique et de l’amélioration de l’image du pauvre maître d’école de campagne. Il parle aussi des pionniers du mouvement syndical et des premiers périodiques des instituteurs. Dans une seconde contribution, Ed. Kirsch analyse les progrès apportés par la loi Braun et le positionnement des deux syndicats. Enfin Ed. Kirsch et Jacques Maas approfondissent ensemble les aspects des débats parlementaires sur les articles les plus sensibles de la loi, c.-à-d. sur les instructions concernant l’instruction religieuse et le droit de regard des curés sur celle-ci, à l’école.

Revenons à l’édition augmentée de 2012. Alors que Régis Moes nous a déjà révélé que l’école n’est pas un terrain neutre, Nadine Elcheroth, membre de la direction syndicale du SEW/OGBL revient sur les raisons qui poussèrent les instituteurs à s’organiser politiquement: « Wie und wann organisierten sich Lehrer in Luxemburg um 1900 politisch ? »

Il s’agissait d’un processus qui accompagnait l’ouverture d’esprit de ce corps, sa progression matérielle dans la société et son gain de reconnaissance sociale. Ce mouvement allait de pair avec le décollage industriel et le développement économique du pays; il n’aurait pas été syndical s’il n’avait pas visé des améliorations comme des augmentations de salaires ou l’obtention d’assurances sociales. Nadine Elcheroth s’attarde sur le rôle que joua la mutuelle des enseignants, précurseur de dix ans de l’Association des Instituteurs du Grand-Duché de Luxembourg, fondée en 1895. Elle regarde les effets pervers de la loi réactionnaire de 1898 et du certificat de moralité, jetés comme embûches sur le chemin de l’émancipation de la profession. La fondation de la FGIL par Mathias Adam apparaît alors comme un pas décisif dans la bonne direction.

Le livre continue par un article de Renée Wagener sur le combat des institutrices luxembourgeoises pour l’émancipation de la femme mariée, par un autre de Cécile Paulus sur les relations Etat/Eglise/Ecole, par un toast que René Worré porte à la laïcité qui aurait pris de l’âge et se termine par quelques considérations de Patrick Arendt sur les nouvelles lois scolaires de 2009. Elles ont, milite-t-il, préparé le terrain à l’école néolibérale et déclenché de ce fait une nouvelle guerre culturelle. Sur le terrain, il déniche déjà des effets néfastes et l’école publique risque d’y perdre son âme, parce qu’on la force à trahir ses vraies valeurs sur l’autel de la méritocratie. Il semble donc que cette histoire d’une lutte scolaire n’ait pas encore trouvé le mot de la fin.

On peut regretter qu’il manque dans ce livre superbe un chapitre sur la mise en oeuvre de la loi Braun, par les administrations communales, dans les villes comme à la campagne. Comment ont-elles accueilli le nouveau vent qui soufflait de gauche et comment les maîtres d’école d’alors l’ont-ils traduit en pratique et tourné en progrès pour la nation? Il faut croire que l’enthousiasme était bien plus fort en 1912, que cent ans plus tard.

Armand Logelin