Systemé D comme décalage (d'Land)

10. Juin 2004

Anne Heniqui

BOUGÉ, les résultats de l'étude Pisa 2003, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves de quinze ans, ne montrent pas de tendances franchement nouvelles. Certes, le pays est passé 23- sur la quarantaine de participants et a sauvé l'honneur national - pour les optimistes.

Mais il n'a toujours pas pu atteindre la barre fatidique de la moyenne fixée par l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques - c'est donc toujours la honte. Et encore, il ne s'agit là que des performances dans le domaine des mathématiques. En lecture, le pays se positionne à la 27e place et au 2ge rang en sciences.

Surtout que le Luxembourg est une nouvelle fois battu à plate couture par le Liechtenstein, classé cinquiè­me du tournoi. Sauf qu'ici, on n'est pas dans le domaine du sport où la médiocrité luxembourgeoise n'émeut plus personne. Or, dans le domaine du foot, on a entre-temps eu le courage de poser la question de l'entraîneur (die Trainerfrage), qu'elle soit pertinente ou non.

Pourtant, certains y avaient cru. Après la raclée de Pisa 2000, on avait sorti le joker de la situation linguis­tique atypique du Grand-duché et on avait admis que l'importance de cette étude internationale n'avait pas été perçue lors de l'organisation des tests. Les responsables du déroulement avaient cette fois-ci veillé à ce que les élèves effectuent leurs devoirs avec le sérieux nécessaire, ils étaient non plus groupés dans de grandes aulas mais plutôt dans de petites classes où ils devaient se sentir plus à l'aise et se montrer plus performants. Certains professeurs avaient même entraîné leurs équipes en les faisant subir d'anciens tests Pisa - comme on le faisait à l'époque pour l'examen de passage du primaire au secondaire avec les fameuses Prüfungsfragen.

Le joker linguistique ne vaut plus son pesant d'or parce que les organisateurs en ont tenu compte autant qu'ils pouvaient en laissant aux élèves le libre choix entre l'allemand et le français - avec une nette préférence des élèves pour l'allemand. Mais il est vrai que cet ajustement n'était pas tout à fait correct non plus parce que les élèves n'avaient pas moyen de se faire tester dans leur langue maternelle comme ont pu le faire par contre leurs camarades des autres pays ou de l'École européenne. Le luxembourgeois en tant que langue maternelle est donc un handicap et le multilinguisme tant prisé n'est qu'un boulet au pied des jeunes, en mauvaise position dès le départ.

Même si Pisa n'est pas une « espèce d'évangile pédagogique» comme le note l'Apess, l'Association des professeurs de l'enseignement secondaire et supérieur, les résultats nationaux montrent une nouvelle fois de façon flagrante l'inégalité des chances érigée en système. Les énormes différences entre le secondaire classique et le secondaire technique - sans parler du gouffre modulaire - et la scission des groupes socio-économiques selon le revenu des parents et leurs origines sont devenus une situation intenable. D'autant plus que 21 pour cent des élèves quittent l'école sans aucun diplôme ni certificat.

La ministre de l'Éducation, Mady Delvaux, vient d'ailleurs de mandater le Conseil de l'Europe afin d'analyser la situation linguistique du Grand-Duché. Elle compte en tirer les conclusions nécessaires dès la fin de l'année prochaine. Mais le revirement n'est pas amorcé que déjà des voix s'élèvent pour mettre en garde contre le nivellement vers le bas - que ce soit en matière de langues, de changement des critères de promotion ou la question de décharger les plus petits des devoirs à domicile (<< un système qui tendrait à déresponsabiliser les élèves en leur octroyant d'emblée une assurance tous risques contre l'échec scolaire,» selon l'Apess).

Et c'est reparti pour un tour. L'échec scolaire doit-il faire partie intégrante de l'enseignement ou est-ce une aberration qui ne mène qu'à la démotivation, la frustration et la perte de confiance en soi? Le clash de positions diamétralement oppo­sées de professionnels et de parents d'élèves affirmant, vouloir œuvrer pour l'épanouissement des jeunes a surtout pour effet de paralyser toute tentative de changement fondamental et obligent les responsables politiques à se contenter d'adaptations cosmétiques.

Ne pas descendre la barre -le niveau de l'enseignement national - est le credo, entre-temps mis en cause par Mady Delvaux qui, lors du débat de mercredi soir sur RTL Télé Lëtzebuerg, a posé la question pertinente de savoir où était finalement fixée cette fameuse barre. La discussion est lancée sur la définition des compétences nécessaires des élèves à une certaine période de leur carrière scolaire et les méthodes d'évaluation de leurs connaissances (voir d'Land du 12 novembre 2004).

Il est néanmoins difficile de croire que l'éducation nationale patauge toujours dans une mare opaque, se vantant du niveau extraordinaire de ses élèves mais dont la perception est en fait en décalage effrayant avec la réalité. La société évolue, les défis ont changé mais l'enseignement se trouve toujours dans sa bulle rose des années cinquante, comme le regrettent certains.

Renforcer le rôle de l'Université du Luxembourg qui devra à court terme approfondir les conclusions de l'étude Pisa est un des souhaits exprimés par la ministre. Monique Adam du syndicat des enseignants SEW-OGBL va plus loin encore en imaginant une guidance en matière de sciences de l'éducation. Car, même si bon nombre de professeurs sont persuadés que leurs méthodes de travail ne répondent plus aux besoins actuels, que l'enseignement ex cathedra est totalement dépassé, ils n'ont pas forcément d'alternative.

La formation de base du personnel enseignant n'est plus adaptée, ce qui renforce son sentiment d'impuissance et contribue à la démotivation des professeurs lassés de parler dans le vide devant des classes entières d'élèves apathiques.

Aider l'enseignant à trouver d'autres bases et voies de communication avec ses élèves est d'ailleurs une des raisons d'être du Groupe luxembourgeois d'éducation nouvelle (Glen) qui a été créé ce mercredi. I1 prévoit des réunions avec des échanges de bonnes pratiques, des incitations à aller plus loin que la simple transmission d'informations fixées par un programme rigide.

La ministre elle aussi voudrait miser sur la motivation de tous les intervenants. Car une des constantes de l'étude Pisa est l'étroite corrélation entre la façon de s'occuper et d'encadrer des élèves et leurs performances. Donc, plus les enseignants sont présents, accessibles et attentifs aux attentes des élèves, plus ils pourront individualiser leurs cours. Un suivi et une réponse immédiate aux dangers de dérapage - trop souvent considéré comme une fatalité - sont alors rendus possibles. Mais dans un système où les professeurs se rendent sur leur lieu de travail surtout pour donner des cours, il n'y a que peu de place pour un suivi systématique des élèves. C'est la raison pour laquelle des intervenants comme par exemple l'Ombudscomité pour les droits de l'enfant revendiquent le tutorat dans les écoles.

Mady Delvaux est sans doute consciente qu'elle risque le bourbier si elle ose se lancer dans une discussion sur le temps de présence exigeant un changement de fonctionnement du personnel enseignant. Elle se mettrait à dos les puissants lobbies dont elle dépend pourtant pour envisager des réformes. Se les aliéner serait couper la branche sur laquelle elle est assise. Elle préfère donc mettre en avant la nécessaire motivation du personnel et le travail en équipe au sein des établissements, tout en dégainant sa nouvelle arme secrète: le projet-pilote de l'école à journée continue dont l'avant-projet de loi est en discussion au sein de l'équipe ministérielle.

Mais la Féduse, la représentation des enseignants au sein du syndicat de la fonction publique, est d'ores et déjà vexée de ne pas avoir été consultée à ce sujet. « Aurait-on déjà abandonné en hauts lieux le dialogue social, tant prôné, il y a encore quelques mois, au profit d'un simulacre de consultations limitées à des cercles de privilégiés proches du pouvoir? ", écrit-elle pincée dans un communiqué début décembre.

Braquer les feux sur ce qui est qualifié de projet phare du gouvernement suscite des attentes qui sont énormes.

Il faudrait veiller à ce qu'il ne croule sous le fardeau de tant d'expectatives, car ce ne sera certainement pas la panacée contre tous les maux de l'enseignement. Surtout qu'il ne concernera dans une première phase que des élèves qui ont grandi dans un système axé sur une sélection par la négative, l'incitation par le spectre de l'échec. Entre-temps, les élèves de quatorze ans pourront se préparer à sauver l'honneur du pays en faisant des efforts en sciences naturelles. Car Pisa 2006 approche à grand pas. On sait d'ores et déjà que le Luxembourg ne pourra pas être mesuré à sa juste valeur - la langue véhiculaire en sciences n'est pas las langue maternelle des élèves; ni celle des autochtones, ni celle des étrangers.

Mais d'un autre côté, la résignation est déplacée, le Luxembourg n'est pas condamné à la médiocrité.

Même s'il est vrai que des méthodes d'enseignement à succès ailleurs ne peuvent être greffées telles quelles sur le système luxembourgeois, il n'en reste pas moins que certains principes ont le mérite d'être universels, comme la prémisse finlandaise qu'aucun enfant n'a le droit d'être laissé seul face à l'échec.