Conférence: « La privatisation de l’enseignement et ses conséquences sociales et éducatives »
10. Mai 2018Le mardi, 5 juin 2018 à 18h30
à la Maison du Peuple
2, bd J.F. Kennedy à Esch/Alzette.
Cette conférence sera donnée par Francis Vergne (Institut de recherche de la FSU).
La conférence se déroulera en langue française et sera suivie d’une réception.
Nous te remercions de ta participation et te prions de croire à nos meilleures salutations syndicales.
Qu'est-ce que la nouvelle école capitaliste et comment la combattre ?
Une école ordonnée aux exigences de la compétition économique.
La Nouvelle école capitaliste est l'école dans laquelle les objectifs et les modes de fonctionnement sont ordonnés aux exigences de la compétition économique et de la valeur marchande. De la maternelle à l'université l'école est formatée par la rationalité du capitalisme néolibéral au point de faire corps et d'épouser de façon intime le mouvement du capital.
Car les rapprochements entre connaissance et marchandise comme entre école et entreprise sont bien plus que des tendances. Ils génèrent d’ores et déjà des dispositifs de contrôle et de régulation qui font apparaître la valeur économique comme le critère ultime de légitimation de toute activité d’enseignement ou de recherche. Chaque établissement du système scolaire et universitaire doit emprunter de nouvelles formes d’organisation plus efficaces, se positionner sur un grand marché de la formation, redéfinir ses contenus et ses pratiques pédagogiques. Chaque enseignant ou chercheur doit apprendre à évoluer dans un environnement de compétition et de sélection, à répondre et s’adapter aux exigences nouvelles de l’ « élève/étudiant usager », de redéfinir ses propres orientations de recherche en fonction de leur valeur marchande. Et chaque élève/étudiant, enfin, doit penser sa formation et son orientation en se sentant responsable de son employabilité.
Au dela de la marchandisation, la mise en marché de l'éducation.
Comment en est-on arrivé là ? L'accent a pû être mis sur la marchandisation sans limite de l'école. Pour effectif qu'il soit ce processus doit être compris en relation avec la double stratégie de l'état néolibéral qui joue un rôle déterminant : privatisation de pans entiers des services publics préalablement damantelés mais aussi refonte et restructuration « manageriale » des institutions publiques dont l'école. Portées par les institutions politiques nationales des pays dominants comme par les grandes organisations financières et commerciales internationales, ces modes de réforme se conjuguent pour accomplir la métamorphose du champ de la connaissance et lui imposer le principe de concurrence comme norme globale.
L’axe majeur des politiques gouvernementales est d'imposer à l’appareil scolaire et à l’organisation de la science comme à l’ensemble du secteur public les mêmes recettes du « management de la performance » : objectifs quantifiés individualisés et contractualisés avec le niveau hiérarchique supérieur, évaluation, récompenses , pilotage par la demande, autonomie de gestion, concurrence, transformation des usagers en « clients ». Le New Public Management s’empare et nivelle les métiers du secteur public en les alignant sur la gestion de l’entreprise privée.
Un état entrepreneur et rééducteur
L'état néolibéral est l'agent direct de la métamorphose. Loin de se désengager il multiplie ses interventions pour assurer plus complètement son emprise sociale et éducative à des fin des compétition et de mise en marché. Il ne se dessaisit donc pas de son rôle mais en repense les finalités et les modalités. État stratège, il oriente la violence capitaliste – dont celle de la précarisation, du déclassement, de la déscolarisation - dans le sens de la transformation sociale souhaitée.
L'interventionnisme néolibéral se caractérise par la multiplication de la production de normes et de règles. Il reste pleinement formateur.. mais au sens de formatage. Pour accoucher d'un ordre nouveau il se fera au besoin ré éducateur de subjectivités résistantes ou rebelles. En tout état de cause il entend tout à la fois gérer, contrôler, manœuvrer, déployer à sa guise la dialectique de la coercition et de la fabrique du consentement.
Comprendre le caractère systémique des contre réformes
Il convient de saisir, au delà de l'accumulation des dégats opérés, la « grammaire commune » des réformes néolibérales. Ses figures imposées sont désormais connues : autonomie contrainte et concurrentielle pour les établissements comme pour les individus, neutralisation ou du contournement de l'activité de connaissance, domination de la norme compétence, gestion individualisée et flexible des parcours scolaire.
L'une des contradictions du système touche à la prétention d'asseoir sa légitimité sur un assentiment individuel et collectif, alors même que les raisons d'adhérer à cette logique vont de moins en moins de soi. Censé mobiliser positivement le sujet, l'ordre néolibéral fonctionne de plus en plus grâce à un système de contraintes sans autre bénéfice que d'imposer une compétition sans fin au terme de laquelle les perdants sont bien plus nombreux que de rares gagnants, eux mêmes piégés.
Nouvel horizon et extension de la lutte des classes..
Les raisons de résister à un système qui sape les fondements de la transmission des savoirs et dénature les finalités de l'acte d'enseigner sont donc multiples. Salvatrices ces résistances sont également de moins en moins isolées. Reste la question théorique tout autant que pratique : comment passer de la dénonciation de l'extension sociale des normes néolibérales à ce que Roland Gori dénomme « l'inservitude volontaire » qui instituerait à une large échelle le refus à la fois individuel et collectif de devenir les gentils accompagnateurs du nouveau capitalisme ? Au moment où nous avons à affronter une phase inédite du capitalisme néolibéral d'autant plus acharné à atteindre coute que coute ses objectifs que la crise qu'il a engendrée lui mord la nuque, le temps est venu de rechercher et de construire de nouvelles alliances.
Un nouvel horizon de lutte est donc posé. Il invite à s'allier et à faire se rencontrer, dialoguer, voire élaborer ensemble de multiples foyers résistants et alternatifs : mouvement sociaux, instituts de recherche et laboratoires indépendants,, forces syndicales et associatives, partis politiques, organismes d'éducation populaire, clubs et sociétés, libraires et éditeurs, journaux et revues, radios, rencontres citoyenne,... la liste n'est pas close, tant sont divers tous ceux qui refusent de se faire laminer par l'horreur néolibérale. Il s'agit d'assumer ces « branchements extérieurs » qu'évoquait Michel Foucault permettant de connecter l'école non seulement aux champs médiatiques et culturels mais aux champs militants et politiques.Les travailleurs ou les prolétaires de la connaissance que nous devenons sont au plus haut point concernés et ont toute leur place dans ce combat.
[1] La nouvelle école capitaliste. Pierre Clément, Guy Dreux, Christian Laval, Francis Vergne. La Découverte. Septembre 2011
Entretien avec Francis Vergne
« L'homme est capital ! »
En tant que co auteur de la Nouvelle école capitaliste, peux-tu préciser le contexte de l'écriture de ce livre ?
L'idée de ce livre collectif a commencé à germer dans le cadre du chantier « Politiques néolibérales et action syndicale » de l'Institut de recherche de la FSU que nous animons Christian Laval, Pierre Clément, Guy Dreux et moi même depuis cinq ans. Nous avons recueilli une masse considérable d'observations convergentes autour des dégâts opérés par le néolibéralisme sur l'école à tous niveaux et sous toutes les latitudes. Restait à les relier en les rapprochant de l'évolution du capitalisme contemporain, à en restituer la cohérence et donc à caractériser le type d école façonné par cet ordre nouveau et terriblement régressif. Ce à quoi la « Nouvelle école capitaliste » s'emploie.
Pourquoi « nouvelle » ?
Nouvelle parce que l'école néolibérale ne fait pas que servir à la reproduction sociale et à la légitimation de celle ci comme l'avaient montré les travaux de la sociologie critique de l'école des années 70 avec Beaudelot et Establet et surtout Bourdieu.. Elle garde cette fonction mais en plus elle devient intrinsèquement capitaliste. En s'intégrant à « l'économie de la connaissance » elle tend de plus en plus à se définir et à fonctionner comme entreprise de valorisation du capital humain et à n'être plus que cela. La nouveauté est qu'elle se plie de l'intérieur aux normes du capitalisme en particulier celles de la compétition et de la concurrence généralisées. Il faut prendre la mesure de ce qui se joue : à la fois la destruction du service public d’éducation et une réorientation fondamentale de l'école détournée de ses finalités éducatives premières et mise en marché. Il y a bien une phase inédite de colonisation capitaliste de l'école.
Est-ce à dire que c'était mieux avant ?
Non mais il est assez évident qu'aujourd'hui c'est pire ! Mais je ne pense pas que le problème se pose en ces termes. Nous n'avons pas pour référence l'école d'avant, celle par exemple de la troisième république avec sa ségrégation de classe et de son apologie du colonialisme. D'une façon plus générale les oppositions entre modernisateurs et conservateurs comme entre pédagogues soucieux de l'épanouissement de l'enfant et républicains défenseurs du savoir masquent l'essentiel à savoir la normalisation globale de l'école dans ses finalités, ses contenus, sa pédagogie. Or ce que cette normalisation a de paradoxal et de déroutant est qu'elle se pare des atours de la réforme mais aussi de l'autonomie, d'une attitude active et positive du sujet.. Elle fait passer ainsi ceux qui résistent à ces changements là pour passéistes et conservateurs. Il y là un piège dans lequel trop de prétendus progressistes sont tombés.
Tu peux préciser ?
Dans un contexte général d'acceptation du cour du monde tel qu'il va et d'effondrement des projets émancipateurs, la question scolaire s'est trouvée déconnectée de la question sociale. Au nom du dépassement de blocages bureaucratiques ou encore de la dénonciation de l'élitisme républicain, une place particulière a été prise par une pédagogie psychologisante de mobilisation des « ressources humaines » qui, sans voir plus loin que cela, s'est complètement accordée avec le type de gouvernement des conduites et des comportements propres à la rationalité néo libérale. C'est la pédagogie du « coach » qui enjoint au sujet de se mobiliser et d'entretenir ses compétences en permanence, de positiver. Ce qui concourt à former ou plutôt à formater un sujet « entrepreneur de lui même », libre de ses choix et de ses « investissements éducatifs », soucieux au plus tôt de son employabilité. L'anthropologie néolibérale y trouve pleinement son compte. Pour elle, passes moi l'expression : l'homme est capital !
Alors, que faire ?
Nous sommes sans doute dans une phase paradoxale où le néolibéralisme, y compris scolaire, a beaucoup perdu en légitimité mais où les résistances peinent à converger et surtout à construire le rapport de force nécessaire pour gagner et à dessiner une alternative. Mais, pour prendre les choses sous un autre angle, le ravalement du travail et des travailleurs intellectuels au rang d'agent des valorisation de plus en plus intégrés au commandement capitalistique ( ce que Marx appelait déjà le « Général intellect» ) est une évolution à double face où la prolétarisation objective qui en résulte n'est pas forcement une mauvaise nouvelle.
Mais encore...
Je veux dire par là que peut s'ouvrir un nouvel horizon de la lutte des classes et se poser dans des termes renouvelés la question des alliances. L'attachement à une culture de métiers que l'on s'acharne à détruire ne s'oppose pas à la construction d'autres liens ni à l'appartenance revendiquée à un ensemble plus vaste. Clin d'œil historique il me semble que les instituteurs désobéissants des années 1905-1910 se définissaient dans la revue L'École Émancipée comme des « prolétaires intellectuels ». Aujourd'hui les enjeux sont à la fois épistémologiques, sociaux et politiques. D'où l'appel à un renversement de perspective . En somme : prolétaires de tous les métiers, de tous les pays et de tous les espaces de l'enseignement, de la recherche et de la culture, unissons nous.
Bibliographie.
Francis Vergne
Savoirs et questions sur l'insertion et la transition professionnelle 1999 .Col. Cahiers de l'Institut.
De l'école à l'emploi : attentes et représentations . 2001 .Editions Syllepse et Nouveaux Regards
L'avenir n'est pas à vendre : un autre regard sur l'orientation scolaire et professionnelle. 2005 Editions Syllepse et Nouveaux Regards
Avec Yves Baunay. Formation profesionnelle. Regard sur les politiques régionales. 2006 .Col. Comprendre et agir.Editions Syllepse et Nouveaux Regards
Mots et maux de l'école. Petit lexique impertinent et critique. 2011. Editons Armand Colin.
Avec C. Laval , P. Clément , G. Dreux. La Nouvelle école capitaliste. Ed. La Découverte. 2011
Avec LM. Barnier et JM. Canu La Fabrique de l’employabilité, quelle alternative à la formation professionnelle néolibérale ? ». Éditions Syllepse 2014.
Avec LM. Barnier et JM. Canu et C. Laval, « Demain le syndicalisme. Repenser l'action collective à l'époque néolibérale ».Éditions Syllepse 2016.